Les mains d’un père
Certainement, la plus grande des choses [requises des pères] sera d’avoir fait tout ce qu’ils pouvaient pour le bonheur et la sécurité spirituelle des enfants qu’ils doivent élever.
En ce week-end de Pâques je désire non seulement remercier le Seigneur ressuscité mais aussi son véritable Père, notre Père spirituel et notre Dieu, qui, en acceptant le sacrifice de son premier né, son Fils parfait, a béni tous ses enfants lors de ces heures d’expiation et de rédemption. Cette déclaration de Jean, le disciple bien-aimé, qui loue le Père aussi bien que le Fils, ne revêt jamais autant de signification qu’en cette période de Pâques: «Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle.»
Bien que je sois un père, bien imparfait il est vrai, je ne peux comprendre le poids que le Père dans les cieux a dû supporter en étant témoin des profondes souffrances et de la crucifixion de son Fils bien-aimé. Sa réaction première, instinctivement, a dû être de l’arrêter, d’envoyer des anges pour intervenir – mais il n’est pas intervenu. Il a supporté ce qu’il voyait car c’était le seul moyen pour qu’un paiement salvateur soit fait par procuration pour les péchés de tous ses autres enfants, depuis Adam et Eve jusqu’à la fin du monde. Je serai éternellement reconnaissant envers ce Père parfait et son Fils parfait. Aucun d’eux n’a reculé devant la coupe amère ni n’a abandonné le reste d’entre nous, alors que nous sommes imparfaits, que nous décevons et trébuchons, et que trop souvent nous ne sommes pas à la hauteur.
Lorsque nous contemplons la beauté de l’expiation de cette première Pâques, nous nous apercevons que cette relation entre le Christ et son Père est l’un des thèmes récurants les plus doux et les plus touchants du ministère du Sauveur. De tout son être, Jésus avait pour unique but, pour seule joie, de plaire à son Père et d’obéir à sa volonté. Il semblait toujours penser à lui, il paraissait toujours le prier. Contrairement à nous, il n’avait pas besoin d’une crise ou d’un changement décevant de la situation pour diriger ses espoirs vers les cieux. Il regardait déjà instinctivement dans cette direction, rempli d’aspirations.
Pendant tout son ministère terrestre, le Christ semble ne jamais avoir été, à aucun moment, vaniteux ou intéressé. Lorsqu’un jeune homme a tenté de l’appeler «bon», il a détourné le compliment en disant qu’un seul avait droit à un tel honneur, son Père.
Au tout début de son ministère il a dit humblement: «Je ne puis rien faire de moi-même… je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé.»
A la fin de ses enseignements qui stupéfiaient son auditoire par leur puissance et leur autorité, il disait: «Ma doctrine n’est pas de moi, mais de celui qui m’a envoyé… Je ne suis pas venu de moi-même: mais celui qui m’a envoyé est vrai.» Ensuite il disait à nouveau: «Je n’ai point parlé de moi-même; mais le Père, qui m’a envoyé, m’a prescrit lui-même ce que je dois dire et annoncer.»
A ceux qui voulaient voir le Père, entendre directement de Dieu que Jésus était bien ce qu’il prétendait être, il répondait: «Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père… Celui qui m’a vu a vu le Père.» Lorsque Jésus voulu garder ses disciples unis, il pria en utilisant l’exemple de sa propre relation avec son Père et dit: «Père saint, garde en ton nom ceux que tu m’as donnés, afin qu’ils soient un comme nous [sommes uns].»
Même lorsqu’il approchait de la crucifixion, il a retenu ses apôtres qui voulaient intervenir en disant: «Ne boirai-je pas la coupe que le Père m’a donnée à boire?» Quand cet indicible supplice a pris fin, il a prononcé les mots qui ont dû être les plus doux et les plus dignes de son ministère terrestre. A la fin de son agonie il a murmuré: «Tout est accompli… Père, je remets mon esprit entre tes mains.» Enfin, tout était fini. Enfin, il pouvait rentrer chez lui.
Je dois admettre que j’ai longtemps médité sur cet événement et sur la résurrection qui s’est produite peu après. Je me suis demandé comment ces retrouvailles s’étaient déroulées. Le Père qui aimait tant son Fils; le Fils qui honorait et vénérait son Père par chaque parole et chaque action. Pour deux personnes aussi unies qu’ils l’étaient, quelle genre d’étreinte fut la leur? Cette relation divine, comment est-elle maintenant? Nous ne pouvons qu’imaginer et admirer. Et nous pouvons, en ce week-end de Pâques, aspirer à vivre de manière à être dignes d’obtenir, nous-même, une part de cette relation.
En tant que père, je me demande si moi ainsi que tous les autres pères, nous ne pourrions pas faire plus pour établir une relation plus douce et plus forte avec nos fils et nos filles ici-bas. Pères, est-ce trop demander que d’espérer que nos enfants puissent éprouver pour nous ne serait-ce qu’une petite portion des sentiments que le Fils divin ressent pour son Père? Pourrions-nous obtenir davantage de cet amour en essayant d’être plus proches de ce que Dieu a été pour son enfant? D’ailleurs, nous savons qu’un jeune se fait une idée de Dieu d’après les caractéristiques qu’il a observées chez ses parents terrestres.
Pour cette raison et pour beaucoup d’autres, je crois qu’aucun des livres que j’ai lus ces derniers mois ne m’a autant alarmé que l’ouvrage Fatherless America (l’Amérique sans pères, N.d.T.). Dans cette étude l’auteur parle de «l’absence du père» comme «de la plus dangereuse tendance démographique de cette génération», et de la cause principale du préjudice aux enfants. Il est convaincu que c’est ce qui alimente nos problèmes sociaux les plus urgents, de la pauvreté au crime, des grossesses d’adolescentes aux sévices perpétrés sur des enfants, à la violence familiale. La fuite du père de la vie de ses enfants figure parmi les principaux problèmes de notre société.
Plus encore que l’absence physique de certains pères, la démission spirituelle ou émotionnelle du père est un grand souci. Ce sont là des péchés d’omission paternels probablement plus destructeurs que des péchés de commission. Pourquoi ne sommes nous pas surpris que deux mille enfants, tous âges et tous milieux confondus, auxquels on a demandé ce qu’ils aimaient le plus chez leur père aient tous répondu: «Il passe du temps avec moi»?
Une jeune Lauréole que j’ai rencontrée il n’y a pas longtemps lors d’une conférence à laquelle je devais prendre la parole, m’a écrit après ma visite pour me dire: «J’aimerais tant que mon père sache combien j’ai besoin de lui spirituellement et émotionnellement. J’ai soif d’un commentaire gentil, d’un simple geste chaleureux. Je ne crois pas qu’il sache ce que cela représenterait pour moi qu’il s’intéresse vraiment à ce qui se passe dans ma vie, qu’il propose de me donner une bénédiction, ou simplement qu’il passe du temps avec moi. Je sais qu’il a peur de mal s’y prendre ou de ne pas dire les mots qu’il faut. Mais de le voir simplement essayer aurait plus d’effet qu’il ne pourra jamais l’imaginer. Je ne veux pas avoir l’air d’être ingrate car je sais qu’il m’aime. Un jour il m’a envoyé un mot et a signé: ‹Je t’aime, papa.› Je chéris ce petit mot. Je le considère comme l’un de mes biens les plus précieux.»
Comme cette jeune fille, je ne voudrais pas que ce discours paraisse exprimer de l’ingratitude ou qu’il donne aux pères le sentiment qu’ils ne sont pas à la hauteur. La plupart des pères sont merveilleux. La plupart des papas sont extraordinaires. Je ne sais pas qui a écrit les vers de ce petit livre de contes dont je me souviens depuis l’enfance, mais voici à peu près ce qu’ils disent:
«Ce n’est qu’un papa, au visage fatigué,
Qui rentre à la maison après une dure journée;
Qui travaille et fait des efforts jour après jour,
Faisant face à tout ce que la vie lui joue de tours,
Tout simplement heureux que les siens aient plaisir
A entendre sa voix, à le voir revenir.
«Ce n’est qu’un papa, mais il fait de son mieux,
Aplanissant le chemin pour ses enfants, ses petits;
Accomplissant, bien décidé et courageux,
Les actions que son père avait faites pour lui.
Voici les vers que je lui dédis – en somme,
Ce n’est qu’un papa, mais le meilleur des hommes.»
Ainsi, mes frères, même lorsque nous ne sommes pas «les meilleurs des hommes», même avec nos limites et nos incapacités, nous pouvons continuer d’avancer dans la bonne direction grâce aux enseignements encourageants prodigués par un Père divin et démontrés par un Fils divin. Avec l’aide de notre Père céleste nous pouvons laisser un héritage paternel plus important que nous ne le supposons.
Un jeune père a écrit: «Souvent lorsque je regarde mon fils, je me souviens des moments passés avec mon propre père. Je me rappelle combien je voulais lui ressembler. J’avais un rasoir en plastique et une bombe de mousse à raser, et chaque matin, je me rasais en même temps que lui. L’été, je marchais de long en large, suivant ses traces dans le gazon pendant qu’il le tondait.
«Maintenant je désire que mon fils suive mes traces, et cependant j’ai peur à l’idée que c’est ce qu’il fera certainement. En tenant ce petit garçon dans mes bras, j’ai la nostalgie de mon foyer céleste, et je désire aimer comme Dieu aime, réconforter comme il réconforte et protéger comme il protège. La réponse à toutes les peurs de ma jeunesse était toujours: ‹Que ferait papa?› Maintenant que j’ai un enfant à élever je compte sur mon Père céleste pour me le dire.»
L’un de mes amis d’université m’a récemment écrit, disant: «Peu de choses étaient stables dans mon enfance chaotique, mais j’ai toujours su au moins une chose, c’est que mon père m’aimait. Cela a certainement été le facteur de stabilité de ma jeunesse. J’ai appris à connaître et à aimer le Seigneur parce que mon père l’aimait. Je n’ai jamais traité personne d’imbécile ni pris le nom du Seigneur en vain parce qu’il m’a dit que la Bible enseigne de ne pas le faire. J’ai toujours payé ma dîme parce qu’il m’a enseigné que c’était un honneur de le faire. J’ai toujours essayé de prendre mes responsabilités face à mes erreurs parce que mon père le faisait. Bien qu’il ait été éloigné de l’Eglise pendant un temps, vers la fin de sa vie il a fait une mission et a œuvré fidèlement dans le temple. Dans son testament il dit que tout l’argent qui resterait après avoir répondu aux besoins de sa famille devrait être remis à l’Eglise. Il aimait l’Eglise de tout son cœur. Et grâce à lui, moi aussi.»
C’est certainement là l’application spirituelle du distique de Lord Byron: «Et pourtant mon apparence présage / De mon père certains traits du visage.»
A un moment déterminant de la jeunesse de Néphi, son avenir prophétique s’est décidé lorsqu’il a dit: «Je crus toutes les paroles qui avaient été dites par mon père.» Au tournant de la vie du prophète Enos, il déclara que c’étaient les paroles qu’il avait souvent entendu son père dire qui avaient suscité l’une des grandes révélations notées dans le Livre de Mormon. Et Alma, le Jeune, affligé, lorsqu’il fut confronté à la torture du souvenir de ses péchés, se souvint aussi d’avoir entendu son père prophétiser concernant la venue de Jésus-Christ, un Fils de Dieu, pour expier les péchés du monde. Ce bref souvenir, ce témoignage personnel offert par son père à un moment où celui-ci pensait sans doute que rien ne rentrait, a non seulement sauvé la vie spirituelle de son fils, mais a à jamais changé l’histoire du peuple du Livre de Mormon.
Dieu a dit d’Abraham, le grand patriarche: «Je l’ai choisi… il ordonne à ses fils et à sa maison après lui de garder la voie de l’Eternel.»
Je rends témoignage en ce week-end de Pâques que «de grandes choses [seront] requises [des] pères», comme le Seigneur l’a déclaré à Joseph Smith, le prophète. Certainement, la plus grande d’entre elles sera d’avoir fait tout ce qu’ils pouvaient pour le bonheur et la sécurité spirituelle des enfants qu’ils doivent élever.
Dans ce moment le plus écrasant de toute l’histoire humaine, du sang perlant de tous les pores de son corps, un cri d’angoisse aux lèvres, le Christ s’est adressé à celui auquel il s’était toujours adressé, son Père. «Abba», a-t-il dit, «Père», ou comme le dirait un jeune enfant: «Papa».
C’est un moment tellement personnel que ça semble presque un sacrilège de le raconter. Un Fils dans une souffrance non atténuée, un Père, sa seule vraie source de force, tous deux gardant le cap, endurant jusqu’à la fin de la nuit, ensemble.
Pères, en ce week-end de Pâques renouvelons notre engagement vis-à-vis de notre rôle de parents, soutenus par l’image de ce Père et de son Fils tandis que nous embrassons nos enfants et restons à leur côté à jamais. C’est là ma prière. Au nom de Jésus-Christ. Amen. 9