« Des sources de lumière et d’espérance », chapitre 14 de Les saints : Histoire de l’Église de Jésus-Christ dans les derniers jours, tome 3, Hardiment, noblement et en toute indépendance, 1893-1955, 2021
Chapitre 14 : « Des sources de lumière et d’espérance »
Chapitre 14
Des sources de lumière et d’espérance
Après avoir quitté le chevet de Joseph F. Smith, Heber J. Grant rentra chez lui. Ne parvenant pas à dormir, il lut et relut le dernier discours de conférence du président Smith, en pleurant à la pensée du prophète mourant. Enfant, il était transporté lorsqu’il écoutait Joseph F. Smith, alors apôtre, s’adresser à sa paroisse. Encore aujourd’hui, Heber était impressionné par ses enseignements. Il trouvait ses propres discours insipides en comparaison.
Heber s’endormit peu après six heures et demie du matin. À son réveil, il apprit que le président Smith avait été emporté par une pneumonie1.
Quelques jours plus tard, la famille et les amis du prophète se réunirent au cimetière. Comme la grippe s’était propagée dans tout l’Utah, le conseil de santé de l’État avait interdit tout rassemblement public. Les proches du défunt avaient donc organisé des funérailles privées2. Heber rendit un bref hommage à son ami. Il déclara : « Il était le genre d’homme que j’aimerais être. Jamais personne n’a eu un témoignage plus puissant du Dieu vivant et de notre Rédempteur3. »
Le 23 novembre 1918, le lendemain des funérailles, les apôtres et le patriarche de l’Église mirent à part Heber J. Grant en tant que président de l’Église, et Anthon Lund et Charles Penrose en tant que conseillers4. Ses amis affirmaient avoir confiance en son rôle de dirigeant mais Heber doutait de sa capacité à suivre les pas du président Smith. Il était membre du Collège des douze apôtres depuis l’âge de vingt-cinq ans mais il n’avait jamais fait partie de la Première Présidence. En revanche, le président Smith avait occupé le poste de conseiller pendant des décennies avant d’être président de l’Église5.
La présidence de Joseph F. Smith avait été marquée par de grandes réussites. Le nombre de membres de l’Église avait presque doublé et avoisinait maintenant les cinq cent mille. Le président Smith avait entrepris une réforme générale des collèges de la prêtrise, clarifiant les devoirs des offices de la Prêtrise d’Aaron et normalisant les réunions et les leçons des collèges et des organisations de l’Église6. Il avait également montré l’Église sous un meilleur jour en donnant des interviews à la presse et en abordant des sujets controversés sur d’anciennes pratiques et sur des enseignements qui avaient été donnés par le passé dans l’Église. En 1915, il avait instauré la « soirée familiale », en demandant aux familles de consacrer une soirée par mois à la prière, au chant, à l’enseignement de l’Évangile et aux jeux7.
Submergé par tous ces accomplissements, Heber J Grant perdait petit à petit le sommeil. Pour alléger le fardeau que représentait son nouvel appel, la Première Présidence délégua certaines des nombreuses responsabilités qu’assumait le président Smith. Comme ce dernier, Heber J Grant était le président du bureau général d’éducation de l’Église, mais il appela l’apôtre David O. McKay au poste de directeur général de l’École du Dimanche. Il désigna l’apôtre Anthony Ivins pour diriger la Société d’Amélioration Mutuelle des jeunes gens8. En revanche, du fait de son expérience d’homme d’affaires dans le domaine des banques et des assurances, Heber décida de superviser lui-même les entreprises gérées par l’Église9.
Cependant, l’anxiété ne l’avait pas quitté. Ses amis et d’autres dirigeants de l’Église insistèrent pour qu’il prenne des vacances avec sa femme, Augusta, sur la côte californienne. Là, pour la première fois depuis la mort du président Smith, Heber réussit à bien dormir. Quelques semaines plus tard, de retour à Salt Lake City, il était reposé et prêt à se remettre à l’ouvrage10.
Pendant les premiers mois de l’année 1919, le président Grant ne put s’adresser aux saints aussi souvent qu’il l’aurait souhaité, à cause de la pandémie de grippe. Plus de mille membres de l’Église avaient déjà succombé à la maladie. Par précaution, Heber et ses conseillers décidèrent de reporter la conférence générale à la première semaine de juin. Avant sa mort, le président Smith avait instauré des pratiques inspirées qui protégeraient les saints lorsqu’ils recommenceraient à tenir régulièrement des réunions de Sainte-Cène.
Par le passé, ils buvaient dans la même coupe quand ils prenaient la Sainte-Cène. Cependant, au début des années 1910, les microbes étant mieux connus, le président Smith avait recommandé l’utilisation de gobelets de Sainte-Cène individuels, en verre ou en métal. Heber J. Grant comprenait bien l’intérêt d’une telle mesure pour lutter contre les maladies infectieuses11.
En novembre, lorsque la pandémie se fut calmée, Heber se rendit à Hawaï pour consacrer le temple de Laie. Une fois de plus, il ne put s’empêcher de se comparer au président Smith, qui s’était adressé à ce peuple dans sa langue et comprenait ses coutumes12.
Le temple était plein à craquer à l’occasion de la consécration. Pour de nombreuses personnes, cette journée était l’aboutissement d’années de prières sincères et de service fidèle. Les saints qui s’étaient installés dans la colonie hawaïenne d’Iosepa, en Utah, pour se rapprocher du temple de Salt Lake City, étaient revenus dans leur terre natale afin d’adorer Dieu et de le servir dans le nouveau temple.
Comme ses prédécesseurs, le président Grant avait préparé la prière de consécration. Il avait ressenti l’inspiration de l’Esprit en dictant la prière à son secrétaire. Il dit à Augusta : « Elle est tellement plus grandiose que mes prières habituelles ! Je remercie le Seigneur de tout mon cœur de m’avoir aidé à la préparer13. »
Debout dans la salle céleste, il mentionna avec reconnaissance Joseph F. Smith, George Q. Cannon, Jonathan Napela et les autres personnes qui avaient établi l’Église à Hawaï. Il demanda au Seigneur de bénir les membres de l’Église dans les îles du Pacifique en leur donnant le pouvoir de trouver leur généalogie et d’accomplir les ordonnances salvatrices pour leurs morts14.
Plus tard, Heber J. Grant écrivit à ses filles pour leur raconter son expérience. Il avoua : « J’étais très inquiet et je craignais que lors de ces réunions, nous ressentions moins d’inspiration qu’en la présence du président Smith. Cependant, je comprends maintenant que mon angoisse n’était pas justifiée15. »
Pendant que Heber J. Grant était à Hawaï, Amy Brown Lyman, secrétaire générale de la Société de Secours, revenait d’une conférence de travailleurs sociaux professionnels où elle avait pris la parole. Depuis trois ans, elle assistait à des conférences de ce genre afin de se tenir au courant des dernières méthodes pour venir en aide aux pauvres et aux nécessiteux. Elle pensait que celles-ci seraient bénéfiques aux actions caritatives de la Société de Secours qui, depuis peu, se reposait de plus en plus sur des organisations extérieures, comme la Croix-Rouge, pour aider les saints en difficulté16.
Amy avait commencé à s’intéresser au travail social des années plus tôt quand son mari, Richard Lyman, faisait des études d’ingénierie à Chicago. À l’époque, de nombreux citoyens américains en faveur d’une réforme faisaient la promotion de remèdes scientifiques pour lutter contre la pauvreté, l’immoralité, la corruption politique et d’autres problèmes sociaux. Amy avait œuvré avec plusieurs associations caritatives à Chicago, ce qui l’avait incitée à effectuer le même travail en Utah17.
Depuis, Amy avait été désignée par le bureau général de la Société de Secours pour diriger le nouveau département des services sociaux de l’Église afin de superviser l’aide apportée aux saints dans le besoin, former les membres de la Société de Secours aux méthodes d’aide modernes et coordonner les activités avec d’autres organisations caritatives. Cette tâche coïncidait avec son service au sein du comité consultatif social de l’Église, composé de membres des Douze et de représentants de chaque organisation de l’Église. Il avait pour but de développer la moralité et le bien-être temporel des membres de l’Église18.
À l’issue de la conférence sur le travail social, Amy essaya de mettre en pratique ce qu’elle avait appris. Cependant, toutes les femmes membres du bureau général de la Société de Secours n’étaient pas aussi enthousiastes. Comme certaines travailleuses sociales étaient rémunérées, Susa Gates estimait que l’on transformait en activité lucrative un travail qui devait être bénévole. Elle craignait également que le travail social ne remplace le modèle révélé de service caritatif de l’Église, les évêques étant désignés pour collecter et distribuer l’aide aux nécessiteux. Elle craignait surtout que le travail social ne se concentre davantage sur le bien-être temporel que sur le développement spirituel des enfants de Dieu, pierre angulaire du message de la Société de Secours19.
Le bureau étudia les points de vue de Susa Gates et d’Amy Lyman avant de parvenir à un compromis. Il fut décidé que les organisations telles que la Croix-Rouge ne devaient pas être les premiers responsables des soins accordés aux saints car c’était le devoir sacré de la Société de Secours. Cependant, on accepta de former les Sociétés de Secours de paroisse aux méthodes modernes de travail social, d’employer un petit nombre de travailleuses sociales rémunérées et d’étudier chaque demande d’assistance pour s’assurer que l’aide était correctement distribuée. Les évêques restaient responsables en dernier ressort de la distribution des offrandes de jeûne mais ils coordonneraient leurs efforts avec les présidentes des Sociétés de Secours et les travailleurs sociaux20.
À partir de 1920, les membres de la Société de Secours suivirent un cours mensuel sur le travail social. Le comité consultatif social organisa également un cours d’institut d’été de six semaines à l’université Brigham Young pour former de nouveaux travailleurs sociaux. Près de soixante-dix représentantes venant de soixante-cinq Sociétés de Secours de pieu y participèrent. Elles apprirent à évaluer les besoins d’une personne ou d’une famille et à déterminer la meilleure façon de lui venir en aide. Amy Lyman supervisait les cours d’institut sur la santé, le bien-être de la famille et d’autres sujets connexes. L’institut recruta un spécialiste du travail social originaire de la ville de New York pour qu’il donne des conférences.
En juillet 1920, lorsque le cours prit fin, les femmes qui l’avaient suivi reçurent six heures de crédit universitaire. Amy était satisfaite car elles pouvaient maintenant retourner dans leurs Sociétés de Secours locales et transmettre ce qu’elles avaient appris. Leur œuvre auprès des saints n’en serait que plus efficace21.
Trois mois plus tard, le président Grant annonça que l’apôtre David O. McKay se rendrait en Asie et dans le Pacifique pour s’informer des besoins des saints dans ces régions. Il déclara au journal Deseret News : « Il fera une enquête générale sur les missions, étudiera les conditions de vie et recueillera des données et et des renseignements d’ordre général. » Hugh Cannon, président de pieu de Salt Lake City, voyagerait avec lui22.
Le 4 décembre 1920, les deux hommes quittèrent Salt Lake City et firent un premier arrêt au Japon, où vivaient environ cent trente saints. Ils visitèrent ensuite la péninsule coréenne et se rendirent en Chine, où frère McKay consacra le pays pour l’œuvre missionnaire qui s’accomplirait à l’avenir. De là, ils se rendirent à Hawaï, où ils assistèrent à une cérémonie de lever du drapeau effectuée par des enfants hawaïens, américains, japonais, chinois et philippins de l’école de la mission de Laie, l’une des dizaines de petites écoles appartenant à l’Église que frère McKay avait l’intention d’étudier au cours de ses voyages23.
Cette cérémonie inspira l’apôtre, qui portait un intérêt tout particulier aux écoles de l’Église24. Depuis peu, le président Grant l’avait appelé en tant que commissaire à l’éducation de l’Église, un nouveau poste qui complétait ses responsabilités de président général de l’École du Dimanche. En tant que tel, frère McKay gérait le département d’éducation de l’Église, qui faisait l’objet de nombreux changements.
Pendant plus de trente ans, l’Église avait dirigé des établissements scolaires gérés par des pieux au Mexique, au Canada et aux États-Unis, ainsi que des écoles gérées par des missions dans le Pacifique. Cependant, au cours de la dernière décennie, un grand nombre de jeunes saints d’Utah et des environs avaient commencé à fréquenter les établissements d’enseignement secondaire publics gratuits. Ces écoles ne dispensant pas d’instruction religieuse, de nombreux pieux avaient mis en place un « séminaire » à proximité des établissements pour permettre aux étudiants saints des derniers jours de continuer d’en recevoir une.
Le succès du programme du séminaire poussa frère McKay à commencer à fermer les établissements scolaires de pieu. Il n’en resta pas moins convaincu que l’école de Laie et d’autres écoles internationales gérées par les missions, notamment l’établissement scolaire du pieu de Juárez, au Mexique, faisaient un travail essentiel et devaient conserver le soutien de l’Église25.
Ils quittèrent Hawaï pour se rendre à Tahiti, puis en Nouvelle-Zélande, sur l’île du Nord, Te Ika-a-Māui. Là, ils montèrent dans un train en direction de Huntly, ville située près d’une grande prairie où les saints maoris tenaient leur conférence de l’Église et festival annuels. Aucun apôtre ne s’était rendu en Nouvelle-Zélande auparavant et des centaines de saints se réunirent pour entendre le discours de frère McKay. Deux grandes tentes et plusieurs plus petites avaient été montées dans la prairie.
Quand frère McKay et le président Cannon arrivèrent à la conférence, Sid Christy, petit-fils de Hirini et Mere Whaanga, courut à leur rencontre. Il avait grandi en Utah et vivait depuis peu en Nouvelle-Zélande. Il emmena les deux hommes vers les tentes. Des cris de bienvenue retentissaient sur leur passage : « Haere Mai ! Haere Mai26 !
Le lendemain, frère McKay prit la parole devant les saints dans l’une des grandes tentes. Nombre d’entre eux parlaient anglais, cependant il craignait que certains ne le comprennent pas. Il s’excusa de ne pas pouvoir leur parler dans leur langue. Il déclara : « Je vais prier pour que, tandis que je parle dans ma propre langue, vous ayez le don de l’interprétation et du discernement. L’Esprit du Seigneur vous témoignera de mes paroles, prononcées sous l’inspiration du Seigneur27. »
Tandis qu’il parlait de l’unité au sein de l’Église, il remarqua que beaucoup de saints l’écoutaient attentivement. Il vit des larmes dans leurs yeux et il sut que certains d’entre eux avaient reçu l’inspiration afin de le comprendre. À la fin de son sermon, Stuart Meha, son interprète maori, répéta aux saints qui ne l’avaient pas compris les principaux points qu’il avait évoqués28.
Quelques jours plus tard, frère McKay prit de nouveau la parole. Il prêcha au sujet de l’œuvre par procuration pour les morts. Depuis qu’un temple avait été édifié à Hawaï, les saints néo-zélandais avaient un meilleur accès aux ordonnances du temple. Il se situait tout de même à des milliers de kilomètres et s’y rendre se faisait au prix d’immenses sacrifices.
Il leur dit : « Je n’ai pas le moindre doute que vous aurez un temple. » Il voulait que les saints se préparent pour ce jour. « Vous devez être prêts29. »
Au début de l’année 1921, John Widtsoe, âgé de quarante-neuf ans, arrivait au terme de sa cinquième année de service en tant que président de l’université d’Utah. Après avoir été renvoyé de l’université d’agriculture de l’Utah en 1905, il avait enseigné pendant une courte période à l’université Brigham Young puis était retourné à l’université d’agriculture en tant que nouveau président. Il avait ensuite été désigné président de l’université d’Utah en 1916. Leah et lui s’étaient donc installés à Salt Lake City avec leurs trois enfants.
À leur arrivée, la mère de John, Anna, sa tante Petroline et son frère, Osborne, vivaient non loin les uns des autres. Osborne, marié et père de deux enfants, dirigeait le département d’anglais de l’université30.
Mais le temps passé ensemble fut de courte durée. Au printemps 1919, Anna tomba malade. L’été, son état s’aggravant, elle appela John et Osborne à son chevet. Elle leur dit : « L’Évangile rétabli a été une source de grande joie dans ma vie. S’il vous plaît, faites connaître ce témoignage pour moi à toutes les personnes qui l’écouteront. »
Quelques semaines plus tard, elle décéda, entourée de sa sœur, de ses enfants et de ses petits-enfants. Heber J. Grant, qui avait été le président de la mission européenne pendant qu’Anna était missionnaire en Norvège, prit la parole à ses funérailles. En pensant à la vie de sa mère, John éprouvait une profonde gratitude.
Il écrivit dans son journal : « L’abnégation dont elle faisait preuve, tant pour les siens que pour les personnes qui avaient besoin d’aide, était sans borne. Son dévouement à la cause de la vérité était presque à son comble31. »
Huit mois plus tard, Osborne fut soudainement victime d’une hémorragie cérébrale. Il mourut le lendemain. « Mon seul frère est mort, se lamenta John. Je me retrouve vraiment seul32. »
Le 17 mars 1921, exactement un an après les funérailles d’Osborne, John apprit que l’apôtre Richard Lyman avait essayé de le joindre toute la matinée. John lui téléphona immédiatement. Richard dit avec empressement : « Venez à mon bureau sans tarder33. »
John partit immédiatement et rencontra Richard dans le nouveau bâtiment administratif de l’Église34. Ils traversèrent la rue jusqu’au temple de Salt Lake City où la Première Présidence et le Collège des douze apôtres étaient rassemblés. John s’assit parmi eux, ne comprenant pas ce qu’il faisait là. En tant que membre du bureau général de la SAM des jeunes gens, il se réunissait souvent avec les membres des plus hauts conseils de l’Église. Mais il s’agissait là de la réunion hebdomadaire que la Première Présidence et les Douze tenaient tous les jeudis et à laquelle il n’était normalement pas convié.
Le président Grant, qui dirigeait la réunion, mentionna quelques affaires de l’Église. Il se tourna ensuite vers John et l’appela à faire partie des Douze, afin d’occuper le siège laissé vacant depuis peu par la mort d’Anthon Lund. « Êtes-vous disposé à accepter l’appel ? » demanda le président Grant.
Dans l’esprit de John, le temps sembla se figer soudainement. Des pensées concernant l’avenir traversèrent son esprit. S’il acceptait l’appel, il offrait sa vie au Seigneur. Sa carrière académique serait mise de côté, malgré les années qu’il y avait consacrées. Et que dire de ses faiblesses ? Était-il digne de l’appel ?
Toutefois, l’Évangile était la priorité de sa vie. Sans plus d’hésitation, il répondit : « Oui35. »
Le président Grant l’ordonna immédiatement, lui promettant plus de force et de puissance divine. Il le bénit pour avoir écouté les conseils de sa mère et pour avoir toujours été humble et capable de discerner la sagesse du monde des vérités de l’Évangile. Il parla ensuite du travail que John effectuerait en qualité d’apôtre. Le prophète promit : « Lorsque vous voyagerez dans les différents pieux ou dans les nations du monde, vous aurez l’amour et la confiance des saints des derniers jours et le respect des personnes qui ne sont pas de notre religion et que vous rencontrerez36. »
John sortit du temple, prêt à commencer cette nouvelle période de sa vie. Ce ne serait pas facile. Leah et lui étaient encore endettés. Les plus âgés de ses enfants étaient prêts à partir en mission et il allait échanger son salaire universitaire contre la modeste allocation que les Autorités générales recevaient pour leur service à plein temps. Cependant, il était déterminé à tout sacrifier pour le Seigneur37.
Leah aussi y était disposée. Un peu plus tard, elle dit au président Grant : « Ma vie sera très différente, je m’en rends compte, et je pourrais, si je me le permettais, redouter les nombreuses séparations qui seront nécessaires. Toutefois, je me fais un délice de la chance de travailler non seulement pour mon peuple comme je l’ai fait dans le passé, mais plus directement avec lui. »
Elle ajouta : « Je n’éprouve aucun regret par rapport aux changements concernant les finances, la vie publique ou les tâches quotidiennes que je connaîtrai en tant qu’épouse d’un homme appelé à ce magnifique service38. »
Lorsque Susa Gates apprit que son gendre avait été appelé au Collège des douze apôtres, elle était aux anges. Depuis longtemps, elle ne craignait plus que John fasse passer sa carrière avant sa famille et l’Église. Ses appréhensions avaient été remplacées par un amour profond et constant pour lui et pour son dévouement à Leah, à leurs enfants et à l’Évangile rétabli.
Elle lui écrivit une longue lettre regorgeant de conseils, exprimant ses espoirs pour son nouveau ministère. Elle était encore préoccupée par les changements qui se produisaient au sein de la Société de Secours et des autres organisations de l’Église. Elle lui dit : « Aujourd’hui, le monde est dans un état de famine spirituelle. » Elle pensait que de plus en plus de membres de l’Église considéraient que le salut était lié au développement intellectuel et moral, et non à la progression spirituelle.
Elle exhorta son gendre à réveiller les hommes et les femmes spirituellement endormis, déjà porteurs de la « graine de la vie éternelle ». Elle écrivit : « C’est à toi de la cultiver comme le grand agriculteur que tu es. Car après tout, il y a dans chacune de ces âmes un petit bassin profond de vérité et d’amour de Dieu qui a juste besoin d’être débroussaillé de l’inactivité mentale afin que des sources de lumière et d’espérance en jaillissent39. »
Au moment où John avait été appelé, Susa sentait sa propre influence dans l’Église s’effriter, d’autant plus qu’Amy Lyman et d’autres sœurs dirigeaient la Société de Secours dans de nouvelles voies. Dans l’espoir de donner un nouveau souffle de vie à l’organisation, certaines femmes membres du bureau de la Société de Secours avaient même discrètement demandé à Heber J. Grant de relever Emmeline Wells de son appel de présidente générale de la Société de Secours.
Alors âgée de quatre-vingt-treize ans, Emmeline était la seule dirigeante de l’Église encore en vie qui avait connu le prophète Joseph Smith. Frêle et en mauvaise santé, elle était souvent alitée et laissait alors Clarissa Williams, sa première conseillère, s’occuper des affaires de la Société de Secours lors des réunions du bureau.
Les conseillers du président Grant et les membres du Collège des Douze pensaient aussi qu’il était nécessaire d’apporter des changements à la direction de la Société de Secours. Pourtant, Heber J. Grant était réticent à cette idée et prôna la patience. Depuis Eliza R. Snow, toutes les présidentes générales de la Société de Secours étaient restées à leur poste jusqu’à leur mort. De plus, il aimait et admirait Emmeline. Pendant les trente ans où sa mère avait été présidente de la Société de Secours de la treizième paroisse de Salt Lake City, Emmeline avait été sa secrétaire. La femme d’Heber J. Grant, Emily, décédée plus de dix ans auparavant, faisait partie de la famille Wells et Heber était profondément attaché à celle-ci. Comment pouvait-il songer à relever Emmeline40 ?
Cependant, après avoir tenu conseil avec les membres du bureau général, la Première Présidence et les Douze décidèrent qu’il valait mieux pour la Société de Secours qu’Emmeline soit remerciée. Heber se rendit chez elle pour lui annoncer personnellement sa relève. Elle reçut calmement la nouvelle mais elle en fut profondément blessée41. Le lendemain, lors de la conférence du printemps 1921 de la Société de Secours, Clarissa Williams fut soutenue comme présidente générale de la Société de Secours. La plupart des membres du bureau général furent relevées et d’autres femmes appelées à leur place42.
Susa Gates faisait toujours partie du bureau général après sa réorganisation. Elle pensait que la relève d’Emmeline était une bonne chose mais elle redoutait la suite des événements. Le 14 avril 1921, lors de la première réunion du nouveau bureau, Clarissa annonça plusieurs changements dans l’organisation. Elle désigna notamment Amy Lyman au poste de directrice générale des activités de la Société de Secours, lui confiant la responsabilité de toutes les activités de ses départements, y compris du magazine de la Société de Secours. Susa conserva son poste de rédactrice en chef du périodique mais, par décision de Clarissa, ce rôle serait désormais attribué annuellement. Susa n’était donc pas certaine de faire partie de l’avenir du magazine.
Troublée par ces changements, elle se demanda s’ils étaient dus à son incapacité à s’accorder avec Amy sur les services sociaux43.
Six jours plus tard, Susa rendit visite à Emmeline, qui passait désormais plus de temps au lit et pleurait souvent au sujet de sa relève. Ses filles Annie et Belle restaient constamment à ses côtés, essayant de la consoler. Susa fit de son mieux pour réconforter son amie. Elle dit : « Tante Em, tout le monde t’aime.
– J’espère, répondit Emmeline. S’ils ne m’aiment pas, je n’y peux rien44. »
Elle mourut paisiblement le 25 avril et Susa lui rendit un bel hommage dans l’Improvement Era. Elle loua les nombreuses années où Emmeline avait été poète, rédactrice du Woman’s Exponent et fervente défenseuse du droit de vote des femmes, qui était inscrit depuis peu dans la constitution des États-Unis. Le plus grand éloge que lui fit Susa portait sur son travail en matière de stockage des céréales, tâche que Brigham Young lui avait confiée en 1876. Susa nota que les céréales de la Société de Secours avaient été utiles à des personnes souffrantes dans le monde entier.
Elle écrivit : « Le trait de caractère dominant de la vie de Mme Wells était sa ferme détermination. Ses ambitions étaient grandes, ses buts élevés ; mais tout cela était tissé sur le fil de la fidélité à son témoignage, qui l’a préservée et qui a fait d’elle une lumière située sur une montagne45. »