2018
5e partie : Thomas Neibaur et Stanford Hinckley, deux héros qui donnèrent leur vie (1918-1919)
Décembre 2018


Histoire de l’Église en France

Suite d’une série de six articles sur la mission française avant, pendant et après la Première Guerre mondiale (1912 à 1928).

5e partie : Thomas Neibaur et Stanford Hinckley, deux héros qui donnèrent leur vie (1918-1919)

Thomas Croft Neibaur fut l’un des premiers à s’enrôler dans la Garde nationale de l’Idaho lorsque le président Wilson demanda des volontaires. Il n’avait pas vingt ans. Il fit partie du cent-soixante-septième Régiment, la « Rainbow Division », représentant plusieurs États.

Dès février 1918, Tom s’est retrouvé dans les tranchées de Lorraine, au milieu de la boue, du froid et des gaz moutarde : « Mon paquetage consiste en mon fusil, ma ceinture de munitions, ma baïonnette, mon quart, mes gamelles, mon casque, mon masque à gaz, mes vêtements, mon lit et mes rations… Vous savez, quand un gars se rend compte que son fusil, sa baïonnette et son masque à gaz sont les seules choses qui peuvent lui sauver la vie, il en prend soin1. »

Tom maniait un fusil mitrailleur « Chauchat », pesant six kilos et requérant un tireur et deux hommes pour recharger. Le 25 septembre, il était à St. Mihiel avec quatre cent mille soldats américains, puis dans la vallée de l’Argonne le 4 octobre. Dix jours de tranchées, sous la pluie. Devant eux la Côte de Châtillon, une colline boisée avec barbelés et tranchées truffées de fusils mitrailleurs. Beaucoup moururent. Un sniper ennemi continuait de les harceler. Il fallait trois volontaires, Tom fut l’un d’eux. Pourquoi ? Il dira plus tard : « Je ne sais pas. Un élan soudain de patriotisme, je suppose2. »

Le matin du 14 octobre, les trois hommes suivirent la ligne de crête. Arrivés à un amas de barbelés ils durent sauter. Les tirs de mitrailleuse touchèrent Tom aux jambes, en trois endroits. Ses compagnons étaient morts. Il écoutait l’ennemi : « Ils étaient seulement cinquante. Ils me chargeaient, criant et tirant, leurs baïonnettes au canon3. » Tom se mit à charger puis à tirer. Il sentait les balles ennemies autour de lui. Son Chauchat s’enraya. Il commença à dévaler la pente, les ennemis à ses trousses. Une autre balle le toucha à la hanche droite. Il s’effondra, face dans la boue. Les soldats allemands le laissèrent pour mort. Mais Tom se releva avec son pistolet, exigeant des ennemis qu’ils se rendent. Alors qu’il ne lui restait qu’une seule balle, ceux-ci s’arrêtèrent, abandonnant leurs baïonnettes. Sept autres se rendirent aussi. Il parcourut deux kilomètres avec ses onze prisonniers jusqu’au quartier général. Le Major demanda comment il avait capturé ces ennemis : « Ils m’ont attaqué et j’ai contre-attaqué4. » Tom fut évacué vers un hôpital. Quelques jours plus tard, le 11 novembre 1918, l’Armistice était signé.

Neibaur reçut la Medal of Honor, la plus haute et prestigieuse décoration militaire pour acte de bravoure. Il reçut aussi la Légion d’honneur et la Croix de guerre françaises. Il fut le premier saint des derniers jours, et le premier habitant de l’Idaho, à recevoir la Medal of Honor.

Bryant Stanford Hinckley (1894-1918), fils aîné de Bryant Stringham Hinckley, naquit à Provo. Engagé volontaire, il partit pour la France à l’été 1918. Le 19 octobre, il mourut à Bordeaux d’une pneumonie due à la grippe espagnole qui faisait des ravages dans l’armée américaine. La famille Hinckley fut très affectée par cette perte. Il laissait une épouse et une petite fille de sept mois, laquelle décéda quarante jours après lui. B. H. Roberts, qui avait servi dans le Premier conseil des Soixante-dix et en était devenu l’un de ses présidents, était aumônier mormon (chaplain), passa de nombreuses heures au chevet de Stanford.

Gordon B. Hinckley (1910-2008), qui deviendra le quinzième président de l’Église en 1995, était le demi-frère de Stanford. Il avait huit ans lorsque parvint la terrible nouvelle. Ce furent « les premiers jours de tristesse de notre vie », dit-il5. Dans l’un de ses discours à Paris, il raconta que ce fut la première fois qu’il vit son père pleurer. Par la suite, durant son ministère, lorsqu’il était à Paris, il ne manquait jamais de fleurir la tombe de son frère aîné, au cimetière américain de Suresnes. Stanford reçut, à titre posthume, la World War I Victory Medal du gouvernement américain.

Par décision du Congrès du 2 mars 1929, près de quatre mille « Gold Star Women » (mères ou épouses des soldats américains morts pour la liberté), purent participer à un pèlerinage sur les tombes de leur parent décédé au cours des années 1930 et 1933. Parmi elles, Ada Bitner Hinckley (1880-1930), la belle-mère de Stanford et mère de Gordon. Après s’être recueillie sur la tombe du défunt, elle déclara : « Seule la paix règne ici et on en repart avec le sentiment confiant qu’il est bon de laisser le soldat décédé reposer là sans être dérangé6. »

Notes

  1. Lettres de Thomas C. Neibaur, Harold B. Lee Library Online Collections.

  2. James Hopper, Medals of Honor, New York: The John D. Day Company Inc. 1929, p. 219.

  3. Medals of Honor, p. 223.

  4. Thomas C. Neibaur, « How Private Neibaur Won the Congressional Medal of Honor, A Thrilling and Wonderful War Story Told in his Own Words, Introduction by Charles W. Nibley, » Improvement Era, 1919 ; gospelink.com/next/doc?doc_id=234575

  5. Dew, Sheri L, Go Forward with Faith : The Biography of Gordon B. Hinckley, Salt Lake City, Utah, Deseret Book Company, 1996, p. 39.

  6. Ada B. Hinckley, « The Gold Star Pilgrimage », pp. 11-13.