« Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés… »
Une Sainte-Cène sur le Kilimanjaro
Iwan se rapproche de moi sur le sentier et me glisse : « Je viens de dire aux guides que nous aurions un service religieux tout à l’heure : ils étaient surpris et m’ont dit qu’ils sont tous chrétiens. Ils aimeraient se joindre à nous. » Cette idée me réjouit. Je suis reconnaissant à Iwan de leur en avoir parlé. Je n’y avais pas pensé. J’imaginais que nous serions trois pour la Sainte-Cène aujourd’hui et nous serons sans doute bien plus ! Nous approchons du camp de la Moir Hut pour la Sainte-Cène la plus haute de notre vie, à 4 200 m d’altitude, sur les flancs occidentaux du Kilimandjaro, au bout du plateau de Shira.
À l’heure dite, dix tanzaniens se joignent à nous. Nous nous installons sur les contreforts du verrou rocheux de la vallée glaciaire qui surplombe notre camp. David et Iwan administrent la Sainte-Cène. Quinze jours plus tôt, en France, j’ai pris les gobelets de Sainte-Cène. J’en voulais trois mais en tirant sur la pile, bien plus étaients venus. Pressé, j’avais pris le tout. Maintenant, je sais qu’il y en a dix : exactement un pour chaque guide et porteur. Ils prennent la Sainte-Cène puis nous remplissons trois gobelets une seconde fois, pour nous. Nous sommes touchés par cette situation de fait et du symbole pour ces dix hommes qui nous assistent tous les jours, avec gentillesse et dévouement.
En voyant notre petite assemblée d’hommes habitués à porter de lourds fardeaux, je ne peux m’empêcher de penser aux paroles du Sauveur : « Venez à moi vous tous qui êtes fatigués et chargés et je vous donnerai du repos. » Je la lis à tous en anglais et fais quelques commentaires que Justin traduit en swahili. Le message est littéral pour ces hommes dont la vie croule sous des charges journalières de trente kilos, qu’ils portent le long de sentiers mal aisés dans un environnement d’altitude, hostile à souhait. Les paroles du Sauveur semblent s’adresser directement à eux mais, même si je sais qu’il le peut, je me demande comment le Sauveur peut alléger leur fardeau au sens propre. Nos amis tanzaniens chantent le cantique de clôture : un esprit de fraternité nous envahit le cœur. Les frontières, les cultures et les dénominations ne sont plus. Nous louons Dieu et son Fils d’un même cœur. Nous écoutons John clôturer notre réunion par le Notre Père en swahili et nous nous serrons dans les bras les uns des autres. Ce moment scelle quelque chose d’unique entre nous, qui nous suivra durant toute l’expédition.
Cinq jours plus tard, c’est notre dernier jour, et la descente finale vers le village de Mweka : il ne nous reste qu’une heure de marche, sur un sentier facile. David, Iwan et moi sommes surpris de dépasser un porteur qui n’est pas de notre groupe : c’est habituellement eux qui vont plus vite que nous. Nous nous retournons et le voyons boiter. Il ne parle pas l’anglais et nos rudiments de swahili ne nous permettent pas de comprendre ce qu’il nous dit, mais il nous montre son genoux droit. David lui donne ses bâtons de marche, je prends son fardeau et David et Iwan se proposent de me relayer. Il s’appelle Hassan. Nous sentons nos cœurs fondre de pouvoir enfin donner un peu de ce que nous avons reçu depuis huit jours. Ce vendredi-là, j’ai compris que parfois, c’est par nos épaules que le Seigneur allège un fardeau.
Iwan Märki est de la paroisse d’Yverdon (pieu de Lausanne), David Mocellin de la paroisse de Grenoble (pieu de Lyon) et Matthieu Bennasar de la paroisse du Chesnay (pieu de Paris)