« ‘Je quitte les autres affaires’ : les premiers missionnaires », Révélations dans leur contexte, 2016
« ‘Je quitte les autres affaires’ : les premiers missionnaires », Révélations dans leur contexte
« Je quitte les autres affaires » : les premiers missionnaires
John Murdock, l’un des nombreux convertis instruits par Oliver Cowdery, Parley P. Pratt, Ziba Peterson et Peter Whitmer, fils, quand ils s’arrêtèrent dans la région de Kirtland (Ohio), au cours du premier effort missionnaire organisé par l’Église, commença à prêcher l’Évangile tout de suite après son baptême en novembre 18301. Il écrivit : « Submergé de questions, je quitte les autres affaires et me consacre à plein temps au ministère. » En l’espace de quatre mois, il amena « près de soixante-dix âmes » à l’Église2. En avril 1834, quand il rejoignit le Camp de Sion, John Murdock était parti de chez lui presque sans interruption depuis trois ans pour prêcher l’Évangile.
En janvier 1831, Jared Carter, tanneur âgé de vingt-neuf ans originaire de Chenango (New York), partit en voyage d’affaires, s’attendant à s’absenter pendant plusieurs semaines. En chemin, il entendit parler du Livre de Mormon. Cela provoqua en lui « beaucoup d’étonnement », mais il le lut et pria avec ferveur pour que le Seigneur lui « montre la vérité du livre ». Il fut immédiatement convaincu qu’il s’agissait d’une révélation de Dieu. Plus tard il écrivit : « Il avait une telle influence sur mon esprit, que je n’avais pas la tête à poursuivre mes affaires. […] Je m’aperçus que j’étais complètement incompétent dans les affaires jusqu’à ce que j’aille assister à l’Église du Christ3. » Trois mois plus tard, Jared Carter s’installait avec sa famille dans la région de Kirtland4. Ayant l’impression que prêcher l’Évangile était son devoir essentiel, il partit en septembre de cette année pour la première de plusieurs missions qui l’occuperaient presque continuellement pendant les trois années suivantes dans l’est des États-Unis5.
Le cas de Jared Carter et de John Murdock n’était pas unique. D’autres hommes qui acceptèrent le message du rétablissement, acceptèrent, eux aussi, l’appel à prêcher comme étant leur « devoir essentiel ». L’instruction de partir en mission provenait de la révélation qui la présentait comme un appel et un commandement. Le Seigneur a déclaré : « Que tout homme qui l’embrassera avec simplicité de cœur soit ordonné et envoyé6. »
La révélation appelait à accomplir l’œuvre missionnaire et l’œuvre missionnaire amena d’autres révélations. Les Doctrine et Alliances montraient comment le Seigneur construisait sur ce que les premiers membres de l’Église connaissaient déjà de l’œuvre missionnaire pour donner à son Église un système missionnaire de plus en plus précis au fil du temps.
La culture de la prédication au XIXe siècle
Au début du XIXe siècle, une ferveur spirituelle sans précédent, diffusée par l’intermédiaire de nombreuses Églises et mouvements religieux, balaya le monde anglophone. À la frontière américaine, la présence de missionnaires de diverses confessions était particulièrement courante. D’innombrables prédicateurs, chercheurs, évangélistes et ministres laïques travaillaient sans relâche pour apporter leur message de l’Évangile aux gens7. Les méthodistes, culte auquel beaucoup des premiers saints des derniers jours ont appartenu pendant un temps, furent particulièrement prolifiques, assurant leur réussite grâce à un vaste réseau de prêcheurs itinérants8. Beaucoup de croyants, que ce soit d’eux-même ou parce qu’ils représentaient un groupe, partaient avec peu de choses si ce n’était le désir ardent de proclamer l’Évangile tel qu’ils le comprenaient.
La plupart de ces innombrables prédicateurs suivaient le modèle du Nouveau Testament, voyageant « sans bourse ni sac9 », recherchant nourriture et abri ainsi que des oreilles attentives. Beaucoup offraient le baptême ; certains prêchaient simplement la nécessité d’une réforme spirituelle ou d’un rétablissement religieux. Leurs messages étaient bibliques et urgents, parfois bien accueillis, parfois non. Pour la population locale, quel que soit son intérêt pour le message, une réunion de prédication était une occasion de divertissement et de contacts sociaux. Si les discussions s’enflammaient entre les messagers en visite et le pasteur local, c’était encore plus passionnant.
Les saints des derniers jours connaissaient bien ces modèles, les adoptaient ou les adaptaient. Mais ils savaient qu’ils avaient quelque chose de plus à offrir : une nouvelle révélation, de nouvelles Écritures et l’autorité rétablie de Dieu. Ce témoignage brûlant a incité des dizaines d’hommes tels que Jared Carter et John Murdock à « quitter les autres affaires » et à consacrer leur temps au ministère, convertissant des dizaines d’autres personnes qui, à leur tour, aidèrent à répandre la parole.
La révélation pour fondement
Bien que les premiers missionnaires saints des derniers jours se soient en partie inspirés des pratiques d’autres Églises, plusieurs révélations fournissaient les bases pour leurs efforts missionnaires dès le début des années 1830. La révélation, parfois appelée la « Loi de l’Église » (Doctrine et Alliances 42) s’adressait aux « anciens de [l’]Église » et établissait les procédures de base10. Le Seigneur commanda : « Vous irez avec la puissance de mon Esprit, prêchant mon Évangile, deux par deux, en mon nom, élevant la voix comme avec le son d’une trompette, proclamant ma parole comme des anges de Dieu11.
Les anciens devaient prêcher le repentir et baptiser et ainsi édifier l’Église du Seigneur dans chaque région. Ils devaient enseigner « les principes de [l’]Évangile » tirés de la Bible et du Livre de Mormon et suivre « les alliances et les articles de l’Église » (c’est-à-dire, les directives données dans Doctrine et Alliances 20). Mais surtout, ils devaient instruire en étant « guidés par l’Esprit ». Le Seigneur enseigna : « Si vous ne recevez pas l’Esprit, vous n’enseignerez pas12. » Une autre révélation adressée aux « anciens de [l’] Église », Doctrine et Alliances 43, réitéra ce commandement : « Élevez la voix et ne vous ménagez pas. » Les missionnaires devaient être « instruits d’en haut » et devaient remettre un message d’avertissement : « Préparez-vous pour le grand jour du Seigneur13. » À l’automne 1832, une révélation importante sur la prêtrise, maintenant Doctrine et Alliances 84, donnait de plus amples instructions pour les missionnaires, indiquant le modèle du Nouveau Testament qu’ils devaient suivre, expliquant les messages qu’ils devaient transmettre et leur donnant l’assurance qu’ils auraient la puissance de Dieu et sa protection14.
Les missions de John Murdock au Missouri
La conférence de l’Église de juin 1831, tenue à Kirtland, donna une occasion spectaculaire à beaucoup d’anciens de mettre en pratique les modèles révélés. Vingt-huit hommes, en plus de Joseph Smith et Sidney Rigdon, reçurent le commandement par révélation (maintenant Doctrine et Alliances 52) d’aller « deux par deux » au Missouri. La conférence de l’Église suivante se tiendrait là et l’emplacement précis de la ville de Sion serait dévoilé15. John Murdock fut appelé à voyager avec Hyrum Smith en passant par Detroit16.
Cet appel vint à une époque de grande tristesse pour John Murdock. À peine cinq semaines auparavant, sa femme, Julia, était morte peu après avoir donné naissance à des jumeaux, un garçon et une fille. Emma Smith avait donné naissance à des jumeaux le même jour, mais les bébés n’avaient pas survécu. Joseph Smith demanda à John Murdock de les laisser, Emma et lui, élever les nouveau-nés qui n’avaient plus de mère17. Mais cette poignante décision laissait toujours frère Murdock avec trois petits enfants à élever, deux garçons et une fille, dont le plus âgé avait six ans, et ce au milieu de son engagement urgent dans l’œuvre missionnaire. Quand vint l’appel d’aller au Missouri, il prit des dispositions pour que d’autres membres de l’Église prennent soin de ses enfants et s’en alla, probablement sans se rendre compte qu’il ne reviendrait pas avant un an.
Cette année-là fut pleine de difficultés pour John Murdock. Il traversa un territoire qui était pour ainsi dire un désert. Un jour, il écrivit que son compagnon missionnaire et lui pataugèrent dans un ruisseau boueux qui leur arrivait à la hanche avec cinq centimètres d’eau au-dessus de la boue. Le ruisseau était plein de ronces qui leur coupaient les jambes et des serpents nageaient à peine à quatre longueurs d’eux. Quand ils finirent par sortir du ruisseau, ils durent parcourir presque un kilomètre, avant de trouver assez d’eau pour nettoyer la boue de leurs pieds et de leurs jambes afin de pouvoir soigner leurs blessures18. En traversant le Mississipi John Murdock eut les « pieds trempés » et tomba gravement malade. John Murdock était toujours malade quand ses compagnons et lui se réunirent avec Joseph Smith dans le comté de Jackson ; il souffrit pendant le reste de sa mission et sa mauvaise santé retarda son retour à Kirtland19. Néanmoins, il écrivit qu’il prêcha et baptisa beaucoup.
John Murdock et ses compagnons missionnaires connurent aussi beaucoup de rejet et d’opposition. Une fois, il passa la moitié de la journée à essayer de tenir une réunion à Detroit, mais ne put trouver personne qui voulût l’écouter. Il écrivit : « Un homme m’a chassé du pas de sa porte pour lui avoir prêché le repentir20. » Il nota aussi plusieurs cas de pasteurs hostiles qui mettaient les anciens au défi de débattre avec eux, parfois avec colère.
Quand il revint auprès de ses enfants en juin 1832, il découvrit que tout n’allait pas bien. La famille qui prenait soin de son fils aîné, avait quitté l’Église et exigeait un paiement pour la garde du garçon ; la famille qui gardait son autre fils avait déménagé dans le Missouri et la famille qui s’occupait de sa fille ne voulait plus la garder et exigeait aussi un paiement. Sa « petite fille Julia », la petite jumelle, grandissait sous les soins d’Emma et de Joseph, mais son frère n’était plus là. Frère Murdock écrivit : « Mon petit fils Joseph est mort. Quand le prophète a été tiré hors du lit par la populace à Hyrum, l’enfant, qui avait la rougeole, était allongé avec lui. » Bien qu’ayant le prophète pour cible, les émeutiers avaient fait du mal au bébé. « Au moment où ils ont déshabillé l’enfant, il a pris froid et est mort Ils sont entre les mains du Seigneur. » ajouta frère Murdock, faisant référence aux émeutiers21.
Il resta chez lui pendant deux mois, « confirmant et fortifiant l’Église et recouvrant [sa] santé », avant de partir à nouveau pour remplir l’appel reçu par révélation en août 1832 à « aller dans les contrées de l’Est » et proclamer l’Évangile22. Mais le Seigneur lui demanda d’abord de s’assurer « qu’on pourvoirait aux besoins de ses enfants et de les envoyer avec bonté à l’évêque de Sion23 ». Cette fois, il ne serait pas réuni à ses enfants avant deux ans. Malheureusement, juste après son arrivée au Missouri, John Murdock apprit que sa fille de six ans, Phebe, avait contracté le choléra. Il écrivit : « J’avais vu tous mes enfants en bonne santé, mais le destructeur a commencé son œuvre. » Il prit soin de sa petite fille pendant plusieurs jours, mais elle décéda le 6 juillet24. Quelques mois plus tard, il repartit pour une autre mission, cette fois en Ohio.
Les expériences de John Murdock illustrent la combinaison de l’initiative individuelle et du mandat divin qui a motivé les premiers efforts missionnaires des saints. Parfois, des hommes laissaient leurs entreprises et partaient prêcher, suivant leur désir individuel, l’inspiration de l’Esprit, ou motivés par l’obéissance à l’attente générale que les anciens élèvent la voix ; à d’autres occasions ils étaient appelés dans une révélation qui les désignait par leur nom et indiquait le lieu de leur mission. Beaucoup de ces révélations, telles que les Doctrine et Alliances 75, 79, 80 et 99, font aujourd’hui partie des Écritures.
Jared Carter : « à l’est »
Comme John Murdock, Jared Carter fit plusieurs missions sur appel officiel et par initiative personnelle. À l’automne 1831, pendant que John Murdock était alité au Missouri, Jared Carter partit avec un collègue pour une « mission à l’est » et atteignit très vite sa ville natale de Benson, au Vermont. Selon un autre modèle typique des missionnaires de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, son intention était de faire connaître sa nouvelle religion à son « entourage », sa famille et ses amis25. À son arrivée à Benson à la fin octobre, il commença immédiatement à tenir des réunions et à exhorter les gens « à prier avec ferveur le Seigneur pour connaître la vérité de cette œuvre ». La plupart des gens dénigraient son message et s’opposaient à ses efforts missionnaires, mais, Jared écrivit : « Ceux qui ont continué à invoquer le nom du Seigneur ont très vite été convaincus de la véracité de l’œuvre et se sont fait baptiser26. » Les vingt-sept personnes converties grâce aux efforts de Jared Carter étaient membres du culte Baptiste de la « Bonne volonté » auquel les proches de Jared Carter appartenaient. Leur imposante église en pierre au plafond voûté devint rapidement un lieu de réunion des saints des derniers jours27.
Jared Carter œuvra dans la région pendant près de trois mois. Il rapporta dans son journal à plusieurs reprises des expériences de « guérisons miraculeuses » après avoir béni des malades28. C’était une autre façon d’opérer dans les débuts de l’œuvre missionnaire des saints des derniers jours. Les anciens témoignaient que les dons de l’Esprit étaient présents dans la nouvelle Église et que c’était la preuve de la promesse du Seigneur qu’il montrerait « des miracles, des signes et des prodiges à tous ceux qui croient en [son] nom29 ». Ces dons étaient aussi une bénédiction pour les anciens eux-mêmes, leur offrant souvent une direction précise dans leur œuvre. En janvier, au plus froid d’un hiver rigoureux en Nouvelle Angleterre, Jared reprit la route, suivant les inspirations de l’Esprit quant à la direction à prendre. Après s’être senti inspiré à aller dans une certaine ville, Jared fut surpris de retrouver son frère, ce qui lui épargna un détour de quatre-vingts kilomètres30.
Jared rentra chez lui en Ohio, le dernier jour du mois de février 1832, « étant parti pour cette mission pendant plus de cinq mois31 ». Quelques semaines plus tard, il rendit visite à Joseph Smith pour l’interroger au sujet de la volonté du Seigneur concernant son ministère pour la saison suivante32. La révélation qui en résulta, Doctrine et Alliances 79, lui demanda d’aller « de nouveau dans les contrées de l’Est, de lieu en lieu, et de ville en ville, avec le pouvoir de l’ordination par laquelle il a été ordonné33. Il partit le 25 avril pour six mois, travaillant beaucoup, dans le Vermont et l’État de New York, avec un certain succès. Il écrivit : « Le Seigneur m’a accordé des gerbes et la santé, et béni soit son nom34. »
Les efforts des femmes
Comme les hommes étaient ordonnés pour aller prêcher, la contribution des femmes aux débuts de l’œuvre missionnaire pouvait être moins visible. Mais ces efforts étaient tout aussi essentiels. Un épisode de la deuxième mission de Jared Carter au Vermont illustrait ce point. En juillet 1832, il écrivit qu’il rendit visite à son beau-frère, Ira Ames, « au moment où [il] devint convaincu de la véracité du Livre de Mormon et était disposé à se faire baptiser35 ».
Mais l’histoire ne s’arrêtait pas là. Ira Ames avait entendu parler de l’Évangile deux ans plus tôt par sa mère. En août 1830, il avait reçu de sa mère, Hannah, une lettre l’informant qu’elle et plusieurs membres de sa famille (dont Jared Carter) avaient été baptisés. Ira Ames avait déjà entendu parler des saints par d’autres sources et était quelque peu intéressé, mais la lettre de sa mère eut un effet puissant. Il se souvint : « En relisant la lettre de ma mère il semblait qu’un éclair parcourait tout mon corps, il réveillait toutes les fibres de mon esprit, l’effet était puissant. » Ces sentiments l’incitèrent à prier pour obtenir un témoignage de la véracité de la lettre et du sujet qu’elle abordait. En réponse, un « calme clair » saisit son esprit36. La visite de Jared Carter près de deux ans plus tard donna à Ira sa première occasion d’agir conformément à ce témoignage.
De même de nombreuses saintes des derniers jours tendirent la main aux membres de leur famille et à leurs amis, souvent par des lettres, comme celle de Hannah Ames, témoignant de leur foi et invitant leurs êtres chers à se joindre à elles. Phebe Peck, d’Independence (Missouri) écrivit en août 1832 à une sœur bien-aimée : « Je peux dire que si vous aviez été informée des choses de Dieu et [puissiez] recevoir les bénédictions que j’ai de la main du Seigneur, vous ne penseriez pas aux difficultés à venir ici. Le Seigneur révèle les mystères du royaume céleste à ses enfants37. » Rebecca Swain Williams témoigna à sa famille qu’elle avait entendu le témoignage de la famille Smith et celui des trois témoins eux-mêmes concernant le Livre de Mormon38. De tels témoignages avaient sans aucun doute trouvé des oreilles réceptives à de nombreuses occasions, et Jared Carter n’avait probablement pas été le seul ancien de l’Église à moissonner les graines plantées par des femmes.