« Des gouvernements et des lois », Révélations dans leur contexte, 2016
« Des gouvernements et des lois », Révélations dans leur contexte
Des gouvernements et des lois
Lyman Wight était fier du service de son père dans l’armée pendant la Guerre d’indépendance américaine. Pour lui la victoire de l’Amérique dans ce conflit avait fait davantage que d’assurer l’indépendance des États-Unis ; elle avait garanti les droits à la vie et à la liberté du peuple américain. Lyman Wight pensait que ces valeurs étaient l’héritage permanent de la Révolution américaine et s’engagea sous les drapeaux pendant la guerre de 1812 afin de les protéger.
Mais, dans les années 1830, sa vision optimiste des idéaux américains fut mise à rude épreuve par ce qu’il vécut en tant que membre de l’Église habitant au Missouri. Lorsqu’entre 1831 et 1832, il s’installa dans le comté de Jackson, au Missouri, avec plus d’un milliers de saints des derniers jours, de nombreux habitants du comté détestaient les croyances des mormons et craignaient l’influence que celles-ci pourraient avoir sur les hommes politiques locaux. Mais au lieu de respecter les droits des membres de l’Église d’adorer et de voter selon les inspirations de leur conscience, les habitants du comté de Jackson employèrent des moyens violents illégaux pour forcer les saints à abandonner leur foi ou à quitter le comté. Ces citoyens du Missouri brutalisèrent les membres de l’Église vivant dans le comté, détruisirent leurs biens et finirent par les sommer de partir1.
Lyman fut atterré de voir que les autorités des gouvernements de l’état et de la nation cautionnaient ou même encourageaient de tels actes contre les membres de l’Église. Plusieurs années plus tard, dans une lettre adressée au sénat américain, il déclara que son « père fut soldat pendant la Guerre d’indépendance » et que cette violation des droits des citoyens membres de l’Église « allait à l’encontre des libertés qu’il lui avait léguées ainsi qu’à sa postérité2 ». La lettre de Lyman révélait un déchirement entre la loyauté qu’il avait pour son pays et son mépris pour ce qu’avaient fait de nombreux hommes élus à la tête de ce pays. Elle exprimait aussi son dévouement à une cause religieuse dont il croyait qu’elle survivrait à tous les gouvernements de la terre.
Réparation
Comme Lyman Wight, les dirigeants de l’Église avaient des relations compliquées avec les gouvernements nationaux et locaux. Lorsqu’en novembre 1833, les membres de l’Église du comté de Jackson furent chassés de chez eux, les dirigeants de l’Église pensèrent que les gouvernements du Missouri et des États-Unis n’avaient pas protégé les droits de citoyens des saints du Missouri et se sentirent tenus de protester contre les actes (et l’inaction) des autorités élues qui conduisirent à l’expulsion des saints. Au même moment, ils commencèrent à faire appel juridiquement et politiquement à ces mêmes gouvernements pour que leurs biens et leurs droits de citoyens leur soient rendus dans le comté de Jackson.
Quelques citoyens importants compatirent à la détresse des saints mais beaucoup se méfiaient des motivations de ceux-ci. La loyauté de l’Église à l’autorité de la révélation et le rassemblement rapide des membres de l’Église en Ohio et au Missouri suscitèrent des inquiétudes chez certains Américains qui pensaient que l’Église voulait établir sa propre société qui ignorait les lois et l’autorité des États-Unis. Comment les dirigeants de l’Église pouvaient-ils protester contre les mauvais traitements infligés par le gouvernement tout en lui exprimant son soutien et tout en lui demandant même de l’aide ?
La déclaration
Le 17 août 1835, tandis que les saints demandaient de l’aide au gouvernement, Oliver Cowdery et Sidney Rigdon présentèrent aux membres de l’Église de Kirtland, Ohio, un document intitulé « Declaration of Government and Law » (Déclaration sur le gouvernement et les lois). Cette déclaration qui figure maintenant dans Doctrine et Alliances 134 visait à aborder toutes les préoccupations des saints3. En affirmant que « les gouvernements ont été institués par Dieu pour le bénéfice de l’homme » et que Dieu « tient les hommes pour responsables de leurs actes4 » accomplis en tant que dirigeants du gouvernement, la déclaration décrit les gouvernements civils comme étant des institutions temporelles dont les actes ont des conséquences spirituelles. En expliquant que tous les représentants du gouvernement doivent être honorés dans leur position et que tous les hommes sont tenus de faire preuve de respect et de déférence à l’égard des lois5, la déclaration souligne les enseignements de l’Église selon lesquels ses membres doivent être des citoyens respectueux des lois qui contribuent à « la paix et [à] l’entente6 » dans la société dans laquelle ils vivent. Elle insiste sur le fait que le gouvernement doit garantir le droit de ses citoyens d’adorer selon les inspirations de leur conscience et que si un groupe religieux est maltraité, il peut faire appel au gouvernement pour obtenir réparation. Faisant indirectement allusion à ce que venaient de vivre les saints du comté de Jackson, la déclaration souligne que les citoyens ont le droit de se défendre contre la persécution religieuse si le gouvernement ne réagit pas à leurs appels à l’aide.
Les membres de l’Église acceptèrent la déclaration et l’inclurent dans la première édition des Doctrine et Alliances. Contrairement à d’autres sections de ce livre dans lesquelles Dieu révèle aux saints sa volonté, cette section est une explication donnée par les saints au grand public de leur point de vue et de leurs croyances. Elle fut probablement rédigée par Oliver Cowdery qui venait de traiter de nombreux sujets abordés par la déclaration dans des éditoriaux publiés récemment dans les journaux7. Joseph Smith se trouvait dans le territoire du Michigan lorsque la déclaration fut présentée à l’Église, mais malgré cela, il l’accepta et y fit référence plus tard dans ses discours et ses écrits8.
Comment la déclaration fut utilisée
Ce fut surtout après 1838, lorsque les saints furent chassés du Missouri par décret du gouverneur, que Joseph et d’autres dirigeants de l’Église invoquèrent les principes de la déclaration dans leur combat pour défendre les droits de citoyens des membres. Par exemple, en 1840, pendant qu’il se trouvait dans les États de l’est des États-Unis pour demander au gouvernement fédéral des réparations après la confiscation des biens des membres de l’Église au Missouri, Joseph écrivit une lettre à l’éditeur d’un journal de Pennsylvanie dans laquelle il répondait aux affirmations lancées par les détracteurs de l’Église dans cette région. En rédigeant la lettre, Joseph recopia simplement le texte de la déclaration sur le gouvernement en remplaçant « nous croyons » par « je crois »9.
Quelques mois plus tard, Joseph, Sidney Rigdon et Elias Higbee obtinrent une audience devant une commission de sénateurs des États-Unis pour parler des persécutions au Missouri. Au cours de cette audience, John Jameson, membre du Congrès, tenta de justifier la violence qui avait été commise à l’encontre des membres de l’Église en prétendant que Joseph avait donné à ses partisans la liberté d’ignorer les lois du pays. Elias Higbee nia catégoriquement cette allégation, affirmant que l’Église « ne défendait pas ce genre de doctrine ni ne croyait une telle chose » et invita le comité à se reporter à la déclaration sur le gouvernement et les lois figurant dans les Doctrine et Alliances comme preuve qu’ils « avaient publié depuis longtemps leurs croyances à ce sujet10 ». Cette commission de sénateurs de 1840 refusa d’accorder à l’Église des réparations pour les persécutions, mais les dirigeants de l’Église défendirent les valeurs décrites dans la déclaration.
Deux ans plus tard, lorsque les dirigeants de l’Église écrivirent la désormais célèbre « Wentworth Letter » (lettre à Wentworth) qui décrit brièvement l’histoire et les croyances de l’Église, les principes établis dans la déclaration sur le gouvernement et les lois semblaient avoir inspiré le contenu de deux affirmations. Il s’agissait de ce que nous appelons maintenant les onzième et douzième articles de foi, affirmant la position de l’Église sur la liberté pour tous les hommes et toutes les femmes d’adorer Dieu selon les inspirations de leur conscience et la soumission des membres de l’Église aux dirigeants du gouvernement et leur obéissance aux lois du pays où ils vivent11.
Rendez à César
Dans les années 1830, les dirigeants de l’Église durent composer avec un paysage politique compliqué, mais leur situation n’était pas totalement nouvelle. Les groupes religieux cherchant à établir le royaume de Dieu sur la terre ont toujours dû composer soigneusement avec les « autorités [temporelles] constituées12 ». Jésus-Christ rencontra des difficultés similaires au cours de son ministère terrestre. Lorsqu’il fut accusé d’essayer d’usurper le pouvoir politique des dirigeants juifs et romains, il déclara que son « royaume n’[était] pas de ce monde13 » et commanda à ses disciples de « rend[re] donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu14 ». Dans ce sens, la déclaration de 1835 rappelle la façon de Jésus d’édifier son Église au sein de nations souveraines.
En 1839, Lyman Wight écrivit une lettre adressée au sénat des États-Unis dans laquelle il dit : « Je me suis porté volontaire pour défendre mon pays pendant la dernière guerre [la guerre de 1812], et pourtant je ne peux pas vivre dans l’État du Missouri sans renier ma religion. » Et lui qui se considérait comme un patriote déplorait de ne pas trouver de satisfaction à « vivre dans une telle servitude sous un gouvernement de soi-disant liberté15 ». La lettre de Lyman Wright illustre parfaitement l’un des principes fondamentaux de la déclaration sur le gouvernement et les lois selon laquelle les membres de l’Église ont un devoir d’allégeance envers leur pays mais doivent en même temps œuvrer à édifier des gouvernements qui garantissent la liberté et les droits des citoyens.